Le 14 mars 1982 a lieu le vernissage des toiles de Léon Markarian à la Galerie 17 à Nice.
      Simultanément, un musée d’Art Naïf est inauguré dans la même ville. Ces deux événements sont retransmis le jour même aux informations télévisées nationales. C’est ainsi que Léon Markarian est révélé au Grand Public.
      Qui est donc cet Arménien âgé de 76 ans, peu connu jusqu’à maintenant, à qui l’on demande désormais de faire des expositions en France, en Allemagne, en Italie, au Canada, à New-York? C.A.G. Informations l’a rencontré et nous dévoile son passé, son œuvre, son succès, résultat prévisible de toute une vie.
      Léon Markarian naquit le 6 janvier 1906 à Panderma, petit port de la mer de Marmara, située entre la mer Noire et la mer Egée.
      Son père, entrepreneur des ponts et chaussées, allait régulièrement cons-truire des routes à Constantinople distante de deux cents kilomètres. Il employait beaucoup d’ouvriers d’ origine italienne dont il apprit la langue ; ceci lui sera très utile plus tard. La famille Markarian composée de six enfants (deux garçons et quatre filles) menait donc une vie paisible partagée entre la pêche et l’entretien de leur pro-priété.
      En 1914, la famille Markarian quitta sa maison car les Arméniens furent expropriés. Quelques semaines plus tard, Léon, âgé alors de huit ans, revint dans son verger manger quelques fruits. Il fut surpris par les gendarmes turcs qui lui donnèrent, en punition, 30 coups de bâton sous les pieds. Pendant quinze jours des amis le soignèrent.
      En 1915 la famille Markarian, sauf

Léon Markarian interviewé

le père dont on n’a plus de nouvelles depuis quelques temps, fut déportée à Adana. Malgré cette très dure épreuve tout le monde revint à Panderma à la fin de la guerre en 1918 et Léon retrouva son père qui échappa de peu aux massacres.
      En effet les Turcs vinrent le chercher trois fois sur son lieu de travail. Mais un ingénieur italien, connaissant très bien le sort réservé aux Arméniens, eut le courage de dire, chaque fois, que cet entrepreneur des ponts et chaussées était italien. Le père de Léon put le ‘‘prouver’’ car il parlait très bien la langue de ses employés.
      En 1922 Mustapha Kémal Pacha repoussa les Grecs hors de Turquie. Tous les chrétiens, craignant le pire, suivirent le front grec qui reculait. La famille Markarian fit de même. Léon, âgé de 16 ans et déjà bon marin, con- duisit le bateau de ses parents : ils firent presque 1000 km en mer. Ils allèrent d’abord à Tékirdag, sur la rive opposée de la mer de Marmara ; ensuite à Kávalla, en Grèce, en passant par le détroit des Dardanelles et s’arrêtèrent à Salonique.
      En 1925, ils quittèrent Salonique sur un bateau français ; ils arrivèrent le 25 mars 1925 à Marseille.
      Ils furent conduits à Arles dans les mines de charbon. Mais la société n’employait que les familles compo-sées d’une majorité d’hommes, la famille Markarian n’étant pas retenue, alla s’installer à Aix-en-Provence.
      Pendant quatre ans Léon alla tra-

vailler à Nice auprès d’un oncle employé dans une société de construction du bâtiment. Il n’aimait pas ce travail dur qui ne lui laissait pas le temps d’organiser ses loisirs.
      Car Léon, ne l’oublions pas, est né au bord de la mer. Il allait souvent au large de l’Opéra Plage. Là il fit la connaissance de sa future épouse dans des conditions assez singulières; jugez-en plutôt : de la plage il vit au loin deux femmes, une mère et sa fille, qui avaient du mal à revenir, elles s’étaient trop éloignées. Il alla les rejoindre et leur proposa de tirer la planche à laquelle elles s’étaient accrochées. Impression-nées par la force de cet homme providentiel, elles commencèrent à lui poser des questions, avec un mauvais français car elles sont d’origine sicilienne, sur ses origines et son travail 
-« Français ? »
-« Non! » (avec la tête car Léon ne parlait pas du tout le français à l’époque)
-« Italien ? »
-« Non ! »
Après plusieurs autres questions sans réponse, la mère s’adresse à sa fille et lui dit
-« Il est Turc celui-là ».
      À l’évocation des bourreaux de sa famille et de son peuple il se crut insulté; il lâcha la planche et laissa les deux femmes se débattre avec les vagues.
      Heureusement l’anecdote eut une suite quelques mois plus tard, ils se revirent et s’expliquèrent. En Sicile on

Tableau du massacre